Recherches et rédaction

2016

 

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Ancienne gare maritime avec complexe de dédouanement et d’entreposage, aménagée entre 1902 et 1910 et composée de bâtiments de style éclectique teintés d’Art nouveau conçus par l’architecte Ernest Van Humbeek, en collaboration avec l’ingénieur Jules Zone, pour ceux de la zone douanière, par les architectes Constant Bosmans et Henri Vandeveld, associés aux ingénieurs Frédéric Bruneel et Jules Zone, pour ceux de la zone ferroviaire.

Historique

Dès 1850, la croissance exponentielle de l'activité industrielle et commerciale de Bruxelles – et de l’ensemble du pays – réclame le désengorgement du réseau ferroviaire de la capitale et la création d’un nouveau port doté d’infrastructures modernes, adaptées à la taille des nouveaux navires et à la densité du trafic maritime. Pour remplacer celui implanté intramuros, la Ville de Bruxelles accepte l’aménagement d’un nouveau port hors de ses murs, accessible à des navires de mer. Ce projet de port maritime mettra près de trente ans à aboutir.

Créé en 1881, le Cercle des Installations maritimes de Bruxelles, véritable lobby économique et politique, confie aux ingénieurs Jules Zone et Alphonse Casse l’étude des nouvelles installations. Un avant-projet publié par Jules Zone en 1890 donne lieu à différentes études complémentaires et à une intense propagande, qui aboutit en 1895 à la décision d’aménager un port maritime dans les plaines de Tour et Taxis et à transformer le canal en voie d’eau maritime. Après de nombreuses confrontations et tergiversations, opposant notamment l’État et la Ville, une Société anonyme du Canal et des Installations maritimes de Bruxelles est officiellement constituée, par l’arrêté royal du 11.07.1896. Ses actionnaires en sont l’État belge, la province de Brabant, la Ville de Bruxelles – propriétaire du canal et promoteur du projet –, ainsi que neuf communes bruxelloises et Vilvorde. La société a pour mission la transformation du canal en voie maritime, la construction d’un port et de ses infrastructures, ainsi que l’exploitation de l’ensemble.

Le site choisi est un terrain laekenois appartenant à la famille de Tour et Taxis, une zone de prairies humides qui servaient autrefois de pâturage aux chevaux de la Poste impériale, qu’elle gérait. Propriété de la Société immobilière de l’Allemagne du Sud à partir de 1872, le site est acquis par l’État belge. Comme condition à son intervention dans la création des installations, la Ville négocie, dès 1892, l’annexion de 89 hectares: 52 sur Laeken et 37 sur Molenbeek-Saint-Jean. La loi du 19.08.1897 accorde à Bruxelles les territoires qu’elle réclame, tout en prévoyant une indemnité compensatoire pour la Commune de Laeken. Par cette même loi, la Société du Canal et des Installations maritimes reprend les droits et obligations de la Ville concernant l’entreposage provisoire et le dédouanement des marchandises. Un projet de 1896, prévoyant un dispositif des deux bassins branchés obliquement sur le canal, est remplacé par celui d’un bassin unique parallèle à l’Allée Verte, afin de libérer l’espace pour l’implantation d’une gare de marchandises avec entrepôts, destinée à remplacer celle de l’Allée Verte, devenue exiguë.Adopté par l’État en 1897, ce plan concerne un îlot délimité par la rue Picard au sud et les nouvelles avenue du Port à l’est et rue Dieudonné Lefèvre au nord. Il comprend entrepôts, gare et douane dans la partie sud et des terrains réservés au commerce dans la partie nord, l’ensemble desservi par un faisceau de voies ferrées se raccordant, au nord-ouest, au chemin de fer de ceinture en passant sous deux ponts, à créer pour relier l’un les futurs boulevards du Jubilé et Émile Bockstael, l’autre les futures avenue Jean Dubrucq et rue Antoine Clesse. À l’est, via l’avenue du Port, le réseau ferroviaire se prolonge par une série de voies desservant les deux rives des bassins maritimes. Le transit routier est quant à lui concentré rue Picard.

En avril 1900, ce sont les entreprises Blaton, Declercq et Lapierre qui sont chargées du chantier du bassin maritime, dont les travaux sont officiellement inaugurés le 22.07.1900, en présence de Léopold II. Ceux de la gare, de son entrepôt public et de ses dépendances sont adjugés à partir de 1903 et réalisés jusqu’en 1907, soit en un temps record vu l’ampleur de l’entreprise et la nature marécageuse du terrain. En 1908, les terrains de Tour et Taxis sont rétrocédés par l’État à la Société du Canal et des Installations maritimes. Prévue en septembre 1914, l’inauguration des installations maritimes n’aura lieu qu’après la guerre, le 12.11.1922, en présence du roi Albert et de la reine Élisabeth.

S’étendant sur près de 37 hectares et structuré par un réseau de voies ferrées, l’énorme complexe de dédouanement et d’entreposage de Tour et Taxis reste pendant plus d’un demi-siècle le nœud central du transit des marchandises de la capitale. En liaison directe avec l’eau, le rail et la route, il répond à trois fonctions essentielles: l’acheminement rapide des marchandises, leur entreposage sous douane et la perception des taxes et accises. Entre 1958 et 1974, un complexe d’entreposage baptisé TIR (Transport International Routier) est conçu pour la Société du Canal et des Installations maritimes sur la partie nord du site, réservée au commerce, qui avait été investie par les hangars et bureaux de sociétés privées (voir avenue du Port no104-106 et rue Dieudonné Lefèvre no1c).

À partir de la fin des années 1950, l'essor du transport routier et l'ouverture des frontières à l'intérieur de l'Union européenne provoquent la désaffectation du site de Tour et Taxis. À partir des années 1980, différents projets de réaffectation sont élaborés. En 2001, le site est vendu aux sociétés immobilières Leasinvest (groupe Ackermans van Haaren) et Robelco, qui co-fondent le Project T&T. Les entrepôts B et A, dits respectivement entrepôt royal et succursale, sont alors rénovés par le bureau Archi 2000. D’autres bâtiments ont à leur tour été restaurés dans les années 2010. Parallèlement, plusieurs constructions du site ont été démolies, dont la cantine (rue Picard no13), la maison du sous-chef de gare, le pavillon du vérificateur, des ateliers de réparation mécanique et des garages. Quant aux nombreuses voies ferrées qui sillonnaient le site, elles ont progressivement disparu dans les années 1990 et au début des années 2000. Au nord des entrepôts A et B ont été érigés en 2014 et 2017 deux immeubles passifs: le nouveau siège de Bruxelles Environnement (bureaux d’architecture Cepezed et Philippe Samyn & Partners) et le bâtiment Herman Teirlinck du Gouvernement flamand (bureaux d’architecture Neutelings Riedijk & Conix RDBM). Le 08.05.2014 a été inauguré le parc Tour et Taxis (bureau Bas Smets), aménagé dans la partie ouest du site et se prolongeant sur l’ancien tracé courbe des lignes de chemin de fer, en connexion avec le parc de la Ligne 28, créé la même année sur Molenbeek. À l’extrémité sud-ouest du site, au no15 de la rue Picard, la Régie foncière de la Ville de Bruxelles a érigé un immeuble à appartements dénommé Résidence Gloria, inauguré en 2017.

Implantation

Le site est divisé en deux zones principales, distinctes dans leur rôle et leur fonctionnement: à l’est la zone douanière, dépendant de l’administration des Douanes et gérée par la Société du Canal et des Installations maritimes, et à l’ouest la zone ferroviaire, dépendant des Chemins de fer de l’État.

La zone douanière couvre neuf hectares et comprend cinq bâtiments dessinés par Ernest Van Humbeek, en collaboration avec l’ingénieur Jules Zone, construits entre 1904 et 1907 par l’entreprise Louis De Waele: l’entrepôt B (B), l’entrepôt A (A), le hangar de réexpédition, l’hôtel des douanes (C) et le dépôt des produits dangereux (D). Une grille clôture la zone douanière, la séparant clairement de la zone ferroviaire. Ceci garantit la sécurité des entrepôts et des produits stockés (vins, alcools, tabacs etc.), et l’indispensable dédouanement des marchandises, qui se déroule dans l’hôtel des douanes, seul bâtiment auquel le public a directement accès après avoir franchi la grille de clôture. Destinée au stockage et au transit des marchandises sous douane, cette partie du complexe traite essentiellement des produits importés ou à destination de l’étranger, transportés par bateau ou train.

La zone ferroviaire est partagée en trois: au sud du site, la gare de marchandises (E), l’hôtel d’administration (F), la gare des petits colis et des colis en souffrance (G), la halle aux poissons et huiles (H), ainsi que l’atelier de réparation des tracteurs (I); au centre, la gare de triage (J); au nord, des installations de service, dont une sous-station électrique avec château d’eau (K) et un vaste atelier de maintenance (disparu). Les bâtiments sont conçus par les architectes Constant Bosmans et Henri Vandeveld, associés aux ingénieurs des Chemins de fer Frédéric Bruneel et Jules Zone. Débutés en 1902, les travaux s’achèvent en 1910.

À l’ouest du site, près du pont du Jubilé, une cabine de signalisation (L) conçue en 1955 abritait sanitaires et services des câbles au rez-de-chaussée. L’étage était affecté à la surveillance et à la maîtrise des aiguillages. Incendiée après 2004, elle est aujourd’hui en attente d’une réaffectation.


Enjambant le chemin de fer reliant en courbe la gare maritime à la ligne de ceinture ouest, le pont du Jubilé (M) – également dit pont Bockstael ou pont monumental – et le pont Dubrucq (N) sont tous deux construits en 1904, le premier conçu l’année précédente par l’ingénieur Bruneel. Il a été classé comme monument le 19.04.2007. Plus loin, un pont métallique de la même époque permet à la rue Charles Demeer d’enjamber la ligne de ceinture.

Sources

Archives
Archives de la Fondation CIVA.
Archives Extensa.

Ouvrages
ATTAS, D., PROVOST, M., Bruxelles, sur les traces des ingénieurs bâtisseurs, Éditions CIVA, Bruxelles, 2011, pp. 69-73.
Bruxelles Port de Mer, Société anonyme du Canal et des Installations maritimes de Bruxelles, 
Éditions illustrées du «Soir», 1922.
CULOT, M. [dir.], Bruxelles Hors Pentagone. Inventaire visuel de l'architecture industrielle à Bruxelles, AAM, Bruxelles, 1980, fiches 3, 9, 10.
KERREMANS, R., Tour et Taxis, coll. 
Bruxelles, Ville d’Art et d’Histoire, 55, Bruxelles Développement urbain, Bruxelles, 2017.
MOTQUIN, L., SCHAUT, Ch., Bruxelles, d’un canal à l’autre, CFC-Editions, Bruxelles, 1991.
NAKHLE, L., RAYNAUD, F., Canal? Vous avez dit canal?, Etat des lieux illustré du territoire du canal à Bruxelles, Agence de développement territorial, 2014.
VANDERHULST, G., Tour et Taxis à Bruxelles. Entrepôts de chemin de fer. Entrepôts sous douane. Gare de marchandises. Proposition de valorisation, La Fonderie – TICCIH-Belgium, 1993.
VANDERHULST, G., Tour et Taxis. Un quartier en mouvement? A district in motion. Een wijk in beweging, Project T&T, 2005.
VANDERHULST, G., Relevé de l’état physique et de la valeur patrimoniale d’immeubles situés sur le site de Tour & Taxis et ses alentours – Rapport, mars 2011.

Périodiques
«Bruxelles: un canal, des usines et des hommes», Les Cahiers de la Fonderie, 1, 1986.
PROVOST, M., ESPION, B., «Fonctionnement des ponts métalliques illustré par quelques exemples», Thema & Collecta, 5, ICOMOS Wallonie-Bruxelles, 2016, pp. 28-31.
SOARES, P. V., «La “succursale” ou “entrepôt A” de Tour et Taxis. Témoignage illustré d’une construction», Les Cahiers de la Fonderie, 19, 1995, pp. 50-53.
SOARES, P. V., «Tour et Taxis ou la nécessité d’une gare de marchandises», Les Cahiers de la Fonderie, 24, 1998, pp. 75-82.
VANDEN BUSSCHE, G., «Brussel Thurn en Tassis», Laca Tijdingen, 4, juin 1998, pp. 14-20.

Sites internet